Le 27 août 2021, le Bureau du directeur du renseignement national a publié un résumé de l’évaluation de la communauté du renseignement des États-Unis sur les origines du COVID-191. Quatre des agences impliquées ainsi que le Conseil du renseignement national ont évalué « avec un faible degré de confiance que l’infection initiale par le SARS-CoV-2 a très probablement été provoquée par une exposition naturelle à un animal infecté par ce virus ou par un virus parental2 ».
L’une des agences – qui s’est ensuite avérée être le FBI3 – a évalué
avec un degré de confiance modéré que la première infection de l’homme par le SARS-CoV-2 a très probablement été le résultat d’un accident de laboratoire, impliquant probablement une expérimentation, une manipulation d’animaux ou un échantillonnage par l’Institut de virologie de Wuhan.
« Ces analystes », poursuivait le résumé, « mettent l’accent sur la nature intrinsèquement risquée du travail sur les coronavirus4 ». Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il y a maintenant eu plus de 360 millions de cas confirmés de COVID-19, ayant provoqué plus de 5,6 millions de morts dans le monde entier5.
Des questions concernant l’origine du COVID-19 présentent un intérêt bien plus que théorique.
Transmission animale
La zoonose est considérée comme l’explication par défaut du déclenchement de toute nouvelle maladie infectieuse. Un certain nombre de pandémies se sont produites au cours du vingtième siècle, presque toutes d’origine zoonotique. La seule exception est la pandémie de grippe H1N1 de 1977, qui a été provoquée par un vaccin candidat insuffisamment atténué émanant d’un laboratoire ou d’essais cliniques6.
Un certain nombre d’épidémies ont débuté en Asie du Sud-Est à la suite de transmissions zoonotiques : la pandémie de grippe asiatique (1957), qui a débuté en Chine ; la pandémie de grippe de Hong Kong (1967) ; et la pandémie de grippe aviaire (2005), dont les premiers cas ont eu lieu au Vietnam. La première épidémie de coronavirus SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) a débuté en Chine en 2002 et a infecté plus de 8 000 personnes dans le monde entre 2002 et 2003, ainsi que des douzaines de personnes supplémentaires en 2004 après plusieurs fuites de laboratoire.
Dans un article de 2007 pour Clinical Microbiology Reviews, une équipe de virologues de l’Université de Hong Kong ont émis un avertissement clair :
La présence d’un important réservoir de virus semblables au SARS-CoV chez les chauves-souris, combinée à la culture qui implique de manger des mammifères exotiques dans le sud de la Chine, représentait une bombe à retardement. La possibilité de la réapparition de virus SRAS et d’autres nouveaux virus provenant d’animaux ou de laboratoires et donc la nécessité de s’y préparer, ne devrait pas être ignorée7.
Les chauves-souris, de l’espèce des Rhinolophus, sont le réservoir naturel de centaines de souches de coronavirus étroitement liées au virus SRAS8.
Une fois que l’épidémie de SARS-CoV-2 s’est déclenchée, les virologues sont rapidement parvenus à la conclusion que la pandémie était presque certainement d’origine naturelle. En février 2020, à peine un mois après la libération du génome du SARS-CoV-2, une équipe menée par Kristian Andersen, un immunologiste de l’Institut de recherche Scripps de Californie, a publié une prépublication, puis un article dans Nature Medicine intitulé « L’origine proximale du SARS-CoV-29 ». Si le SARS-CoV-2 avait été conçu, argumentent-ils, il aurait pu être mieux conçu, et puisqu’il n’a pas été mieux conçu, il n’a probablement pas été conçu. « Tandis que les analyses suggèrent que le SARS-CoV-2 peut se lier à l’ACE2 humaine avec une affinité élevée », a noté l’article, « des analyses computationnelles prédisent que l’interaction n’est pas idéale et que la séquence RBD [domaine de liaison du récepteur] est différente de celles indiquées dans le SARS-CoV comme étant optimales pour la liaison de récepteur ». « La liaison haute affinité de la protéine spiculaire du SARS-CoV-2 à l’ACE2 humaine » ont conclu les auteurs,
est très probablement le résultat d’une sélection naturelle sur une ACE2 humaine ou semblable à l’ACE2 humaine qui permet à une autre solution de liaison optimale de se produire. Ceci est une évidence forte que le SARS-CoV-2 n’est pas le résultat d’une manipulation [italique ajouté]10.
Un mois avant que Nature Medicine publie l’article d’Andersen et al., The Lancet a publié une lettre signée par 27 éminents virologues qui rejetaient l’hypothèse selon laquelle le virus avait été créé dans un laboratoire :
Le partage rapide, ouvert et transparent de données sur cette épidémie est maintenant menacé par des rumeurs et des désinformations concernant son origine. Nous condamnons fermement les théories du complot qui suggèrent que la COVID-19 n’a pas une origine naturelle11.
Un des auteurs de la lettre était Peter Daszak, le Président d’EcoHealth Alliance, une ONG à but non-lucratif basée aux États-Unis. Depuis 2004, EcoHealth collaborait avec l’Institut de virologie de Wuhan (WIV) sur des études des coronavirus chez les chauves-souris12. EcoHealth et le WIV entretenaient une étroite relation. Un spécialiste de la transmission de maladies infectieuses parmi les animaux, Daszak était fréquemment cité en tant que co-auteurs sur leurs articles, souvent avec le directeur du Centre du WIV pour les Maladies infectieuses émergentes, Shi Zhengli13.
Les auteurs de la lettre qui est parue dans The Lancet, dont faisait partie Daszak, ont déclaré qu’ils étaient parvenus à leurs conclusions sans avoir d’intérêts divergents. Seize mois plus tard, le journal a émis une objection relative à la déclaration de Daszak. Il a mis à jour sa déclaration pour clarifier son emploi chez EcoHealth et la nature de la recherche d’EcoHealth en Chine et pour affirmer que leur « travail en Chine était précédemment financé par l’Institut national de la santé américain (NIH) et l’Agence américaine pour le développement international (USAID)14 ». La divulgation mise à jour de Daszak ne comprend aucune mention au WIV, mais se réfère plutôt à la « collaboration d’EcoHealth avec une vaste gamme d’universités et d’organisations scientifiques sanitaires et environnementales gouvernementales ».
Le 14 janvier 2021, une équipe pluridisciplinaire d’experts internationaux, dont faisait partie Daszak, s’est rendue à Wuhan pour enquêter sur les origines du virus au nom de l’OMS15. L’enquête a duré 28 jours. L’équipe de l’OMS a pu effectuer une visite guidée des installations du WIV et ils ont pu interroger certains de leurs scientifiques. « L’introduction [du virus] à cause d’un accident de laboratoire », a conclu l’OMS, « était considérée comme une voie de transmission extrêmement improbable16 ». Au contraire, ont-ils ajouté, « son introduction par un hôte intermédiaire est considérée comme une voie de transmission probable à très probable17 ». Ailleurs, dans son rapport, l’équipe de l’OMS a répété les assurances qu’ils avaient reçues pendant leur séjour en Chine :
Le laboratoire du CDC [Centre pour le contrôle et la prévention des maladies] de Wuhan qui a déménagé le 2 décembre 2019 [vers un nouveau site près du marché de Huanan] n’a rapporté aucune interruption ou incident provoqué par le déménagement. Ils ont également indiqué qu’il n’y avait eu aucune activité de stockage ou de laboratoire sur des CoVs ou d’autres virus de chauves-souris avant l’épidémie18.
Si, en février 2021, l’équipe d’experts de l’OMS étaient prêts à prendre au mot les scientifiques du WIV, d’ici le mois d’août 2021, certains d’entre eux ont confessé avoir eu des réserves. Dans une interview pour un documentaire de la télévision danoise, Peter Ben Embarek, le chef de l’équipe de l’OMS, a admis que les officiels chinois avaient fait pression sur eux pour qu’ils laissent tomber l’hypothèse de la fuite de laboratoire. « Au début, ils ne voulaient pas que quoi que ce soit apparaisse concernant le laboratoire [dans le rapport de l’OMS], parce que c’était impossible et qu’il n’était donc pas nécessaire de perdre du temps là-dessus », a remarqué Ben Embarek. « Nous avons insisté pour l’inclure », a-t-il poursuivi, « car cela faisait partie de l’ensemble du problème concernant l’origine du virus19 ». Ben Embarek a ajouté qu’il existait des scénarios selon lesquels l’hypothèse d’une fuite de laboratoire pourrait être cohérente avec l’hypothèse que la COVID-19 avait une origine animale :
Un employé du laboratoire infecté sur le terrain tout en prélevant des échantillons dans une grotte de chauves-souris – un tel scénario appartient à la fois [italique ajouté] à une hypothèse de fuite de laboratoire et à notre première hypothèse d’une infection directe d’une chauve-souris à un être humain. Nous avons considéré que cette hypothèse était plausible20.
Lorsqu’il a été questionné concernant l’enquête par le Washington Post, Ben Embarek a initialement clamé que ses remarques avaient été mal traduites avant de refuser de faire d’autres commentaires21. Mais Ben Embarek n’était pas le seul à exprimer des réserves. Un mois plus tôt, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a concédé au cours d’une conférence de presse qu’ils avaient été « prématurément poussés » à exclure l’hypothèse de la fuite de laboratoire – commentaires qui contredisaient les conclusions du propre rapport de l’OMS, publié juste quelques mois auparavant22. Il a fait appel à la Chine pour autoriser un audit complet des laboratoires de Wuhan23. « J’étais un technicien de laboratoire moi-même, je suis immunologiste et j’ai travaillé en laboratoire et les accidents de laboratoire, cela arrive », a remarqué Tedros. « C’est courant24 ».
Comme cela est apparu, Tedros avait toutes les raisons d’exprimer des précautions. À ce jour, près de 82 000 échantillons d’animaux ont été testés en Chine comme étant porteurs du SARS-CoV-2. Aucun hôte animal intermédiaire n’a été identifié à Wuhan ni ailleurs dans le pays25.
Des zones d’ombre
Anthony Fauci est directeur de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses (NIAID) depuis 1984. Au cours des dernières décennies, il a exprimé son soutien à la recherche sur le gain de fonction à de nombreuses occasions. Dans une tribune de 2011 pour le Washington Post co-écrite avec Francis Collins, le directeur du NIH entre 1993 et 2019, ils ont parlé de virus « conçus dans des laboratoires de bioconfinement isolés » comme un moyen d’identifier des « voies génériques par lesquelles un tel virus pourrait mieux s’adapter à la transmission entre les personnes26 ». Les avantages n’ont pas été traités en détails, mais les auteurs ont simplement noté que « des informations et idées importantes peuvent faire état de la génération d’un virus potentiellement dangereux dans le laboratoire ». La tribune conclut par une brève indication des risques impliqués.
L’année suivante, Fauci a publié un article intitulé « Recherche sur le virus de la grippe H5N1 hautement pathogène : la marche à suivre » en faisant également valoir la recherche en matière de gain de fonction27. Dans son commentaire, Fauci souligne la question de savoir si « les connaissances obtenues de ces expériences pourraient par inadvertance affecter la santé publique d’une manière négative, même dans des pays éloignés de plusieurs fuseaux horaires28 ».
Il invite ensuite le lecteur à envisager un scénario hypothétique concernant « une expérience importante en matière de gain de fonction impliquant un virus avec un potentiel pandémique sérieux réalisée dans un laboratoire de classe mondiale, bien réglementé par des chercheurs expérimentés ». L’information glanée dans l’étude est alors « utilisée par un autre scientifique qui n’a pas la même formation et les mêmes équipements et n’est pas soumis aux mêmes réglementations ».
Dans un retournement de situation improbable mais concevable, qu’en serait-il si ce scientifique était infecté par le virus, provoquant une épidémie et ultérieurement une pandémie ? Nombreux sont ceux qui se posent des questions raisonnables : au vu de la possibilité d’un tel scénario – bien qu’éloignée – les expériences initiales auraient-elles dû être effectuées et/ou publiées dès le départ, et quels ont été les processus impliqués dans cette décision ?
La réponse de Fauci est sans équivoque :
Les scientifiques qui travaillent dans ce domaine pourraient dire – comme je l’ai effectivement dit – que les avantages de ces expériences et les connaissances qui en résultent compenses les risques [italique ajouté]. Il est plus probable qu’une pandémie se produirait dans la nature, et la nécessité de garder une longueur d’avance face à une telle menace est une raison essentielle pour la réalisation d’une expérience qui pourrait sembler risquée.
Dans sa conclusion, Fauci reconnaît des « préoccupations authentiques et légitimes concernant ce type de recherche » mais son message reste clair : la recherche est utile et importante.
Bien sûr, aucune recherche sur le gain de fonction n’a aidé le monde à « garder une longueur d’avance » face à la pandémie de COVID-19, ni aucun défenseur d’une recherche virologique en matière de gain de fonction n’explique exactement comment on peut garder une longueur d’avance face à la nature.
À la fin de l’année 2012, Fauci est intervenu lors d’un atelier sur la recherche sur le gain de fonction sur les virus H5N1 HPAI hébergés par le NIH. « Il existe des désaccords quant à la valeur scientifique et/ou pour la santé publique de ces expériences », a-t-il remarqué dans une section de sa présentation qui traitait de directives de financement, « mais je crois que les personnes qui pensent qu’elles ne devraient pas être réalisées, représentent une minorité29 ».
Au cours du mandat de Fauci au NIAID, le NIH a financé de nombreuses études impliquant des coronavirus et une recherche sur le gain de fonction. En 2015, le NIH a soutenu une étude conduite par Ralph Baric, un virologue de l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, et le directeur Shi du WIV. Publié dans Nature Medicine, leur article décrivait la création d’une chimère, le résultat d’un gène de protéine spiculaire provenant d’un coronavirus de chauve-souris inséré dans un virus SRAS adapté à une souris30.
L’achèvement de cette étude n’a été possible qu’une fois que Baric a reçu une exemption pour sa recherche des officiels du NIH31. En octobre 2014, le Bureau de la politique scientifique et technologique a décrété une pause dans le nouveau financement de la recherche sur le gain de fonction après une série « d’incidents de biosécurité dans les installations de recherche fédérales32 ». Ils ont également recommandé aux « personnes qui réalisaient actuellement ce type de travail, qu’il soit financé ou non par les autorités fédérales, d’interrompre volontairement leur recherche le temps d’une réévaluation des risques et bénéfices ». Baric a écrit au comité de biosécurité du NIH pour plaider son cas et une exemption lui a été accordée33.
Trois ans plus tard, après l’élection de Donald Trump, Fauci a joué un rôle essentiel dans la décision du NIH de reprendre la recherche sur le gain de fonction34. Le NIH a financé une nouvelle étude qui s’est étendue sur le travail du WIV de 2015 avec Baric, créant huit nouveaux coronavirus chimériques35. Lorsque l’épidémie de SARS-CoV-2 de 2019 s’est produite, le travail au WIV était en cours sur une autre recherche, financée par un autre cycle de financement36.
Dans son audience au Sénat américain de mai 2021, Fauci a clamé haut et fort que la recherche financée par le NIH au WIV ne constituait pas de recherche sur le gain de fonction37. Il était catégorique dans sa dénégation mais sa mémoire était défectueuse. Dans un courriel de février 2020 que Fauci a envoyé à ses subordonnés, obtenu aux termes de la loi d’accès à l’information (FOIA), un PDF joint de l’article de Baric et Shi était intitulé « Gain de fonction du SRAS38 ».
Une pandémie politique
Fauci était à la tête de virologues qui souhaitaient lui donner leur avis. Kristian Andersen était parmi eux. Après avoir consulté ses collègues, Andersen a envoyé à Fauci un courriel le 1er février 2020 – également obtenu aux termes de la FOIA – dans lequel il indiquait que le génome du SARS-CoV-2 semblait fabriqué et, en outre, que son génome était « incohérent avec les attentes de la théorie évolutionniste39 ». Quelques heures plus tard, Fauci tint une téléconférence avec Andersen, Sir Jeremy Farrar, directeur du Wellcome Trust, Collins, et plusieurs autres virologues40.
Un article de juin 2021 d’USA Today a rapporté que
des détails de ce qui avait été dit lors de la réunion, y compris des notes extensives prises par un participant et d’autres idées partagées par d’autres personnes, ont été cachés par le NIH avant que les courriels n’aient été rendus publics41.
Interviewé pour le même article, Fauci rappela :
« Ce fut une conversation très productive et riche en échanges où certaines personnes pensaient qu’il pouvait s’agir d’un virus fabriqué » … D’autres, déclara [Fauci], ont considéré que les preuves « sont fortement en faveur » d’un virus émergeant d’un hôte animal42.
Bien que les détails de la conversation restent opaques, lorsque la prépublication de l’article « L’origine proximale du SARS-CoV-2 » d’Andersen est parue quelques semaines plus tard, ce qui avait auparavant semblé fabriqué semblait maintenant naturel43.
Lorsque les courriels de Fauci ont été publiés en juin 202144, les changements d’avis d’Andersen ont été accueillis avec consternation. Andersen a ensuite expliqué que c’était la libération du génome pour une souche virale appelée RaTG13 qui lui avait changé d’avis45. Assez curieusement, Andersen avait tweeté concernant le RaTG13 une semaine avant d’écrire son courriel initial à Fauci46. Plutôt que d’essayer de résoudre toutes les incohérences lorsqu’elles lui ont été fait remarquer, Andersen a choisi d’effacer en premier les tweets litigieux, puis de supprimer son compte Twitter dans son intégralité47. Selon le collègue d’Andersen, Farrar, d’autres co-auteurs de l’article « L’origine proximale du SARS-CoV-2 » étaient initialement encore plus convaincus que le virus avait trouvé son origine dans un laboratoire. Farrar a ensuite décrit les événements entourant la réunion avec Fauci, Collins, Andersen, et al., dans son livre Spike: The Virus vs. The People48. Ce compte a fait l’objet d’un article à la mi-2021 par Unherd:
Avant l’appel du 1er février, Farrar déclare qu’Andersen était convaincu à « 60 à 70% » que le virus provenait d’un laboratoire, tandis qu’un virologue australien Eddie Holmes était à « 80% sûr que cette chose était sortie d’un laboratoire. » Patrick Vallance, responsable scientifique britannique en chef qui a rejoint l’appel, a prévenu les agences de renseignement de leurs préoccupations. Mais d’autres, lors de l’appel long de plusieurs heures, ont argumenté que le nouveau virus « s’expliquait de manière plus convaincante comme une diffusion naturelle que comme un événement de laboratoire ». Après coup, les participants ont échangé les notes mais Farrar est resté partagé sur les origines. « Sur un spectre de 0 à 100, si 0 concerne la diffusion naturelle et 100 la diffusion par libération, je me situe honnêtement à 50 », a indiqué Fauci dans un courriel. « Je pense que tout cela restera flou tant que nous n’aurons pas accès au laboratoire de Wuhan et j’ai peur que ce soit improbable49 ».
Les courriels obtenus aux termes de la FOIA ont révélé que, trois jours après l’appel avec Fauci, Andersen et Baric ont aidé Daszak à rédiger la lettre qui est ensuite parue dans The Lancet dénonçant ce que, dans un courriel, Andersen aurait appelé les hypothèses « folles » et « limites » que le SARS-CoV-2 avait été fabriqué50.
Le lendemain, Farrar a renvoyé un courriel à Fauci et Collins51. Dans son message, Farrar indiquait avoir convaincu l’OMS de former un groupe visant à rechercher l’origine du SARS-CoV-2. Il a également informé Fauci et Collins que l’OMS avait demandé des « noms pour faire partie de ce Groupe » et demandé que le collaborateur « envoie des noms ». Farrar a proposé une réunion successive pour « structurer le travail du groupe » et suggéré qu’il y aurait des « pressions sur ce groupe de vos équipes et des nôtres la semaine prochaine ».
Les courriels révèlent également que bien qu’ayant aidé à rédiger la lettre de The Lancet, Baric et Daszak – initialement au moins – avaient choisi de ne pas la signer52. Baric avait peur que s’il signait cette lettre, cela semble « égocentrique et que nous perdions de l’influence ». Daszak, d’autre part, a pensé à minimiser son implication, comme celle de Baric et d’un autre virologue, Linfa Wang. « Vous, moi et lui ne devrions pas signer cette déclaration », a suggéré Daszak à Baric et à Wang, « afin que nous nous en éloignions un peu et que cela ne soit pas contre-productif pour nous ».
« Nous la publierons ensuite de façon à ne pas remonter à notre collaboration afin de maximiser une voix indépendante ».
Flèches rouges
Quelle que soit l’origine du SARS-CoV-2, il a d’abord été observé à Wuhan, l’épidémie initiale ayant eu lieu entre octobre et décembre 2019. L’hypothèse que le SARS-CoV-2 ait eu son origine ailleurs et ait voyagé sans être détecté jusqu’à atteindre Wuhan n’est pas plausible. Une transmission antérieure aurait provoqué des épidémies antérieures dans d’autres endroits, ou aurait produit des lignées virales à d’autres endroits sur l’arbre phylogénétique du SARS-CoV-2. La phylogénie du virus est fortement enracinée à Wuhan53.
Bien qu’il y ait peu de doutes sur le fait que le SARS-CoV-2 avait son origine à Wuhan, il reste des questions sur l’endroit à Wuhan où il est apparu pour la première fois. Après l’épidémie de SRAS en 2002 à Guangdong, les premiers patients souffrant de SRAS avaient presque immédiatement été retracés jusqu’aux travailleurs d’un restaurant qui manipulaient des animaux exotiques : des civettes des palmiers vendues sur un marché local avaient été identifiées en quelques semaines comme l’hôte intermédiaire54.
En novembre 2021, le virologue Michael Worobey, dans un article de Science, a argumenté que l’épidémie de SARS-CoV-2 provenait du marché de gros de fruits de mer de Huanan à Wuhan55. Dans une interview d’University of Arizona News, Worobey a remarqué que la preuve était comme une
flèche rouge clignotante pointant vers le marché de Huanan comme étant de loin le site d’origine le plus probable, le motif étant l’absence d’arrêt à la vente d’animaux sauvages illégaux sur des marchés tels que Huanan56.
Il faut noter que l’article de Worobey n’a fourni aucune nouvelle preuve de zoonose et sa conclusion était basée uniquement sur une nouvelle analyse des données de patients de Wuhan de décembre 2019. Il s’est ensuite avéré que les données étaient erronées57. La « preuve forte » de la zoonose citée par Worobey dans son article pour Science n’était rien d’autre qu’une conjecture :
[L]e fait que la plupart des premiers cas symptomatiques étaient liés au marché de Huanan – spécifiquement à la section occidentale (1) où des chiens viverrins étaient en cage (2) – est la preuve forte que le marché aux animaux vivants est à l’origine de la pandémie58.
Aucun chien viverrin n’a encore été trouvé comme étant porteur d’un progéniteur de SARS-CoV-2, ni aucun autre animal n’a été infecté par un tel progéniteur. Environ 82 000 échantillons d’animaux ont maintenant été analysés en Chine, y compris 1700 récents échantillons commerciaux d’animaux sauvages vendus sur des marchés59. Tous étaient négatifs pour n’importe quel virus semblable au SRAS.
On ne sait pas clairement si l’épidémie a débuté chez une poissonnière du marché de Huanan. Mais le marché lui-même a clairement servi de point névralgique épidémiologique, abritant ce que Worobey a décrit comme une « prépondérance authentique de cas précoces de COVID-1960 ». Tandis que certains cas humains précoces étaient en effet liés au Marché de Huanan, de nombreux cas étaient antérieurs à l’épidémie sur le marché61. En outre, les souches de SARS-CoV-2 circulant sur le marché n’étaient pas anciennes, toutes étant porteuses de trois nouvelles mutations qui n’apparaissaient pas sur les premiers patients62. En outre, Wuhan n’abrite pas non plus les chauves-souris connues pour être porteuses de virus semblables au SRAS ; en effet, la probabilité d’une épidémie liée à un virus de chauve-souris à Wuhan avait été jugée si faible qu’en 2018, la ville avait été utilisée comme contrôle négatif pour une étude par le WIV qui visait à évaluer le risque de transmissions zoonotiques de virus semblables au SRAS à Yunnan des chauves-souris aux êtres humains qui vivaient à un à six kilomètres de ces chauves-souris63. L’étude a montré que six des 218 agriculteurs portaient des anticorps au virus semblable au SRAS de chauve-souris appelé Rp3, alors qu’aucun des 240 habitants de Wuhan n’étaient porteurs. Daszak et Shi figurent parmi les seize co-auteurs de l’étude.
Après l’explosion de l’épidémie de SARS-CoV-2, Daszak a cité cette étude dans un tweet pour estimer l’incidence générale des transmissions zoonotiques du coronavirus.
Ces transmissions se produisent tous les jours. Nous avons réalisé des études séro-épidémiologiques en Asie du Sud-Est et constaté que 3% des personnes rurales avaient des anticorps aux CoVs de chauves-souris. Cela signifie 1-7 millions de personnes par an exposées à des CoVs liés au SRAS provenant de chauves-souris. Il est profondément illogique de penser que cela n’a pas donné lieu à l’épidémie actuelle64.
Si 218 résidents de la campagne de Yunnan, vivant à proximité de grottes à chauves-souris présentaient un taux de 3% de séropositivité, alors par extrapolation, a-t-il argumenté, un à sept millions de personnes dans l’Asie du Sud-Est rurale devraient être exposées à certains coronavirus liés au SRAS chaque année. C’était certainement un argument curieux pour une personne dans la position de Daszak.
Au contraire, Shi a reconnu que Wuhan est un lieu improbable pour l’apparition d’un virus semblable au SRAS. Elle a traité de ce point dans une interview de 2020 dans Scientific American :
« Je ne me serais jamais attendue à ce qu’une telle chose se produise à Wuhan, au centre de la Chine », a remarqué [Shi]. Ses études avaient montré que les provinces subtropicales du sud de Guangdong, Guangxi et Yunnan présentaient le plus grand risque de transmission de coronavirus d’animaux – en particulier de chauves-souris, un réservoir connu – aux êtres humains. Si des coronavirus étaient les coupables, elle se rappelle avoir pensé ; « Auraient-ils pu venir de notre laboratoire ?65 »
Le labo de Wuhan
En 2019, EcoHealth devait recevoir un autre cycle de financement du NIH pour un projet 2R01AI110964-06, « Comprendre le risque d’émergence de coronavirus des chauves-souris66 ». Ce don, le projet parapluie qui avait financé la collaboration d’EcoHealth avec le WIV depuis 2014, avait été lancé avec trois vastes objectifs. Le premier était de « [c]aractériser la diversité et la répartition de SARSr-CoVs à risque de transmission élevé dans des chauves-souris dans le sud de la Chine », tandis que le deuxième impliquait une « [s]urveillance syndromique basée sur des évaluations cliniques et communautaire, afin de mieux appréhender la transmission de SARSr-CoV, les voies d’exposition et les conséquences potentielles sur la santé publique ». Le troisième objectif était bien plus explicite concernant ce que les chercheurs avaient en tête :
La caractérisation in vitro et in vivo du risque de transmission du SARSr-CoV, couplée à des analyses spatiales et phylogénétiques pour identifier les régions et les virus préoccupants pour la santé publique. Nous utiliserons des données de séquence de protéine S, une technologie de clonage infectieux, des expériences d’infections in vitro et in vivo et l’analyse de liaison de récepteur pour tester l’hypothèse que des % de seuils de divergence dans des séquences de protéine S prédisent le potentiel de transmission67.
Avant l’annulation du don du NIH en avril 202068, EcoHealth a reçu 3,1 millions de dollars US de financement pour le projet69. Sur ce montant, 600 000 $ US ont été transmis au WIV70.
Dans un article de décembre 2018 pour Nature Reviews Microbiology, les chercheurs du WIV ont souligné leur vision pour les prochaines phases du projet :
[L]e travail à venir devrait être axé sur les propriétés biologiques des virus [de type SRAS et de type MERS (Syndrome respiratoire du Moyen-Orient)] en utilisant une isolation de virus, une génétique inversée et des essais d’infection in vitro et in vivo. Les données obtenues aideraient à prévenir et à contrôler la prévention et le contrôle de maladies émergentes de type SRAS ou MERS à l’avenir71.
L’objectif ultime de ce travail peut avoir été de créer un vaccin pan-coronavirus. La recherche a mis l’accent sur les virus de type SRAS et les virus de type MERS était un objectif déclaré non seulement pour le WIV, mais pour EcoHealth également. Daszak l’a déclaré dans une interview de novembre 2019 :
Vous pouvez manipuler des [coronavirus] dans le laboratoire très facilement, c’est la protéine spiculaire qui entraîne bon nombre des événements qui se produisent avec le risque zoonotique du coronavirus. Vous pouvez obtenir la séquence, vous pouvez fabriquer la protéine. Nous avons travaillé avec Ralph Baric à l’UNC qui faisait cela, l’insérer dans l’ossature d’un autre virus et faire un certain travail dans le laboratoire. Donc, vous pouvez être plus prédictif lorsque vous trouvez une séquence. … C’est la progression logique pour les vaccins – si vous êtes sur le point de développer un vaccin pour le SRAS, les personnes vont utiliser le SRAS pandémique mais tenteront d’insérer certains de ces [autres gênes spiculaires] et d’obtenir un meilleur vaccin72.
Outre les subventions d’EcoHealth, la recherche au WIV a été soutenue par un financement chinois. Ben Hu, un chercheur du WIV, s’est vu octroyer une subvention de trois ans du Fonds Scientifique pour la Jeunesse pour un projet visant à enquêter sur « la Pathogénicité de deux nouveaux coronavirus liés au SRAS de chauve-souris sur des souris transgéniques exprimant un récepteur d’ACE2 humain73 ». Hu est membre du groupe de Shi au WIV depuis 201574.
Le WIV a entrepris son travail pour la meilleure des raisons. Avant l’apparition du SARS-CoV-2, il était largement envisagé chez les chercheurs qu’une future épidémie, ou Maladie X comme l’appelait l’OMS, pourrait être provoquée par un coronavirus75. En juin 2020, Shi et son collègue Shibo Jiang ont publié un article intitulé « La première Maladie X est provoquée par un Coronarivus de syndrome respiratoire aigu hautement transmissible76 ». « La Maladie X » ont observé Shi et Jiang, « serait une nouvelle maladie avec un potentiel épidémique ou pandémique provoqué par un pathogène inconnu ». Inconnu ? Pas totalement. « [L]a première Maladie X » ont-ils écrit, « pourrait être une maladie infectieuse transmissible provoquée par un nouveau coronavirus provenant de chauves-souris ».
Le génome suspect
Le virus SARS-CoV-2 contient un certain nombre de caractéristiques génomiques curieuses – son nouveau site de clivage de furine bien évidemment. Aucun autre coronavirus lié au SRAS connu n’a un site de clivage de furine. Pour entrer dans les cellules humaines, le SARS-CoV-2 utilise une protéine spiculaire qui se fixe aux récepteurs d’ACE2 humains. La protéine doit ensuite être coupée par une enzyme afin de se fusionner avec la membrane cellulaire et pénétrer dans la cellule. La protéine spiculaire est constituée de deux parties, S1 et S2. S1 est responsable du contact primaire avec le récepteur, et S2 de la fusion et de la pénétration. Pour que S2 débute la fusion, la jonction S1/S2 doit être coupée par une enzyme hôte telle que la furine ou la TMPRSS2. Cette jonction est l’endroit où l’on trouve le nouveau site de clivage de furine dans le SARS-CoV-2. La furine est une enzyme très efficace, trouvée à la fois sur la surface et à l’intérieur de nombreuses cellules humaines, notamment dans l’épithélium des voies aériennes. C’est la présence de furine à l’intérieur de la cellule qui permet aux virions nouvellement formés d’émerger dans une forme prédécoupée, améliorant ainsi leur infectivité.
Le site de clivage de furine dans le SARS-CoV-2 a été créé par une insertion de 12 nucléotides particuliers – si particuliers en fait que le locus génomique dans le SARS-CoV-2 enveloppant son site de clivage de furine est au moins de douze nucléotides plus long que n’importe lequel de ses parents77. Les virologues ont créé de nouveaux sites de clivage de furine dans des coronavirus de manière répétée78. La raison en est évidente79. Les sites de clivage de furine augmentent considérablement le tropisme tissulaire et d’espèce d’un virus80. Et les sites de clivage de furine augmentent l’adaptation d’une souche virale à certaines lignées cellulaires. Le WIV n’a pas mentionné la nouvelle insertion de furine dans ses deux premiers articles sur le SARS-CoV-281, même si le WIV avait en sa possession le parent le plus proche du SARS-CoV-2 à ce moment-là – la souche RaTG1382. La comparaison génomique a rendu le site de clivage de furine évident. Dans son diagramme comparant les deux génomes, le WIV a interrompu la comparaison juste avant la nouvelle insertion. Dans l’article qui mentionnait en premier le RaTG13, les chercheurs du WIV n’ont pas expliqué d’où venait le RaTG13 ou comment ils l’avaient obtenu.
La nouvelle insertion comprend des nucléotides T CCT CGG CGG GC ; les acides aminés correspondant sont la proline (CCT) l’arginine (CGG) l’arginine (CGG) l’alanine (GCA) – ou la PRRA en une notation d’acide aminé d’une lettre. L’insertion de nucléotide est singulière car elle n’est pas totalement dans le cadre, l’insertion séparant le codon de sérine ancestral TCA tout en préservant le cadre en aval83. Les deux codons d’arginine CGG répétitif sont également singuliers. Le CGG est le plus rare des six codons à coder l’arginine dans les coronavirus de chauves-souris, et l’insertion de SARS-CoV-2 est le seul exemple dans lequel deux codons CGG sont consécutifs. En fait, le doublet CGG-CGG est le seul qui code deux arginines dans les 255 virus de type SRAS avec des annotations protéiques énumérées dans la Base de données de séquences génétiques du NIH (GenBank)84.
Contrairement aux coronavirus de chauves-souris, le CGG est le codon d’arginine le plus fréquent chez les humains.
RaTG13
Le virus RaTG13 est de type SRAS et appartient à la famille des bêta-coronavirus. C’est un proche parent du SARS-CoV-2. Ayant obtenu le génome du SARS-CoV-2 le 27 décembre 201985, le WIV aurait été en mesure de voir qu’il correspondait au RaTG13 à 96,2%. Le WIV a annoncé avoir en sa possession le RaTG13 dans une prépublication téléchargée sur bioRxiv le 23 janvier 2020, et publiée peu après dans Nature86. Leur explication était sobre :
Nous avons alors trouvé qu’une courte région de polymérase d’ARN dépendant de l’ARN (RdRp) provenant d’un coronavirus de chauve-souris (BatCoV RaTG13) – qui avait été précédemment détecté dans un Rhinolophus affinis de la province de Yunnan – présentait une identité de séquence élevée au 2019-nCoV. Nous avons réalisé un séquençage intégral sur cet échantillon d’ARN87.
Cela suggère que les chercheurs du WIV ont tout d’abord détecté une correspondance entre le SARS-CoV-2 et un court fragment RdRp du RaTG13. Ils ont alors réalisé un séquençage intégral du RaTG13. Lorsque le WIV a été forcé de délivrer des données de séquençage brutes, il a été noté qu’elles contenaient des amplicons de 2017 et 201888.
Quand le RaTG13 a-t-il été séquencé ?
En 2018, comme le WIV l’a ensuite admis89.
Ce fut un aveu compromettant. Aucune correspondance entre le fragment RdRp et le SARS-CoV-2 n’était nécessaire pour établir une correspondance entre le RaTG13 et le SARS-CoV-2. Le WIV avait déjà le génome de RaTG13 complet : ce qui représentait la correspondance principale relativement au SARS-CoV-2.
Mais le WIV n’a pas divulgué un autre aspect important de l’historique du RaTG13 : le fait qu’il avait été collecté en 2012 dans une mine de Mojiang, un comté au sud de la province du Yunnan. Cette année-là, six mineurs avaient contracté une pneumonie virale en travaillant dans la mine, et trois d’entre eux sont décédés par la suite90. Le WIV a ensuite été invité à analyser des échantillons de tissus provenant des mineurs. Ils ont trouvé des anticorps IgG réagissant au SRAS91. Au cours des années qui ont suivi, plusieurs chercheurs du WIV ont visité la mine de Mojiang à plusieurs reprises pour rechercher de nouveaux virus. Le WIV a enfin reconnu ces détails dans un addendum publié neuf mois après l’article de Nature92. Dans le même addendum, le WIV a reconnu que le RaTG13 est identique à un échantillon marqué Ra4991, qui a été mentionné pour la première fois dans un article de 201693, et dont le fragment 370-nt RdRp avait été déposé à la GenBank à ce moment-là94.
Le WIV a également négligé de mentionner le nouveau site de clivage de furine dans le SARS-CoV-2 : cela serait apparu immédiatement à n’importe quel virologue dûment formé en matière de coronavirus qui aurait examiné l’alignement des protéines spiculaires dans le SARS-CoV-2 et le RaTG13. Dans son article divulguant le RaTG1395, le WIV a choisi d’interrompre cet alignement juste avant le nouveau site de clivage de furine. Plusieurs jours avant d’avoir participé à l’écriture de cet article, Shi a participé à l’écriture d’un autre article, cette fois avec Jiang, sur le SARS-CoV-2 qui a identifié correctement le site de clivage S1/S2 du SARS-CoV-2 sur le nouveau site de clivage du RRAR|S96.
Il est difficile de croire que des experts tels que Shi ou Jiang auraient pu manquer le nouveau site de clivage de furine à la jonction de clivage S1/S2 – tout en réalisant spécifiquement leur alignement dans la recherche pour le site de clivage S1/S2 du SARS-CoV-2. Il semble que Shi l’ait oublié deux fois. L’alignement de Nature utilisait la numérotation d’acide aminé correcte de la protéine spiculaire du SARS-CoV-2, tandis que l’article de Jiang utilisait la numérotation incorrecte : le WIV avait initialement inclus par erreur neuf acides aminés supplémentaires dans la séquence de protéine spiculaire du SARS-CoV-2 qu’ils avaient téléchargée dans la GenBank97. Donc, le locus de clivage correct S1/S2 de SARS-CoV-2 est le R685/S686 et non le R694/S695. Un autre chercheur qui avait probablement manqué le nouveau site de clivage de furine était Ben Hu, qui a été reconnu dans l’article de Jiang et Shi pour son travail sur « l’analyse phylogénétique du gène de 2019-nCoV S98 ».
Le RaTG13 lui-même reste quelque peu mystérieux. Son domaine de liaison de récepteur ne se lie à aucun récepteur d’ACE2 de chauve-souris étudié. Une étude récente a testé que le récepteur d’ACE2 à partir de RaTG13 de l’espèce de chauve-souris avait été prétendument échantillonné à partir de R. affinis99. Il s’est avéré que le RaTG13 se lie mal à l’ACE2 du R. affinis. Même la mutation spiculaire de T403R qui a été observée pour qu’il se lie bien à l’ACE2 humaine, s’est avérée inutile concernant la liaison à l’ACE2 de R. affinis.
Au contraire, le RaTG13 se lie très bien à l’ACE2 humaine et se lie encore mieux à tous les récepteurs d’ACE2 de rat et de souris. En utilisant la mesure de l’étude citée concernant le nombre de cellules infectées par puits, le RaTG13 s’est avéré moitié moins efficace pour que le SARS-CoV-2 pour la liaison au récepteur d’ACE2 humain (100k cellules/puits) et environ huit fois meilleur que l’efficacité du SARS-CoV-2 dans l’utilisation de l’ACE2 de chauve-souris R. affinis (12k cellules/puits).
Ces découvertes suggèrent que le RaTG13 pourrait ne pas être le virus de chauve-souris original mais être par contre le résultat d’un repiquage en série significatif d’un virus de chauve-souris dans des cellules humaines ou dans des souris100 – et c’est là qu’il aurait pu rencontrer une pression sélective afin d’optimiser sa liaison aux récepteurs d’ACE2 humains et de rongeurs. Le WIV a surement échantillonné certains coronavirus de type SRAS provenant d’une mine à Mojiang, qu’ils ont appelé à l’origine Ra4991. Ce nom est apparu dans un premier temps dans l’impression d’une thèse de master par Ning Wang, rédigée sous la supervision de Shi101. Dans le cadre de sa thèse, Wang a amplifié le gène N pour un certain nombre de coronavirus de chauve-souris, dont Ra4991. Ra4991 a ensuite été brièvement mentionné dans un article de 2016 du WIV comme une nouvelle souche liée au SRAS102. Un fragment de 370 nucléotides de son gène RdRp a été déposé à la GenBank103. En 2019, une thèse de master du WIV par Yu Ping, co-supervisée par Shi, a décrit le Ra4991 comme ayant été totalement séquencé, avec trois autres coronavirus de types SRAS104. Ces génomes n’ont jamais été rendus publics. On ne sait pas clairement pourquoi le RaTG13 a dû être renommé au début de l’année 2020 s’il était parfaitement acceptable de continuer à l’appeler Ra4991 en 2019. Il est très rare de renommer des séquences virales en coronavirologie et le fait de renommer quelque chose sans référencer son nom précédemment publié est sans précédent. Dans une Q&A publiée par Science en juillet 2020105, Shi a fourni l’explication suivante :
Ra4991 est l’identifiant pour un échantillon de chauve-souris tandis que RaTG13 est l’identifiant pour le coronavirus détecté dans l’échantillon. Nous avons changé le nom car nous voulions qu’il reflète le moment et le lieu de la collecte d’échantillon. 13 signifie qu’il a été collecté en 2013 et TG est l’abréviation de la ville de Tongguan, l’endroit où l’échantillon a été prélevé106.
Pour un échantillon attribué à un écouvillon fécal de chauve-souris, le métagénome des données de séquençage du RaTG13 contient un nombre anormalement faible de relevés bactériens107. À peine 0,65% du total des relevés appartiennent à des bactéries. Par comparaison, un autre échantillon d’écouvillon fécal du WIV provenant de R. affinis (SRR11085736), qui a été téléchargé dans la GenBank le même jour que le RaTG13, contenait 91% de relevés bactériens. Le profil métagénomique des données brutes du RaTG13 est plus cohérent avec un échantillon cultivé.
Dans la même Q&A avec Science, Shi a indiqué que l’échantillon de RaTG13 d’origine n’est plus disponible pour vérification externe.
L’échantillon [RaTG13] ayant été utilisé de nombreuses fois dans le but d’une extraction d’acide nucléique viral, il n’y a plus eu d’échantillon une fois que nous avons terminé le séquençage génomique, et nous n’avons pas fait d’isolation de virus ou d’autres études dessus108.
Cette revendication n’est pas seulement extrêmement troublante au vu de toutes ses particularités, mais elle est pleinement incohérente avec un échantillon en culture – à savoir, un échantillon que les scientifiques ont obtenu pour qu’il s’auto-propage indéfiniment dans une culture cellulaire.
Une Histoire de fuites
Plusieurs fuites de laboratoire sont connues pour s’être produites au cours des quarante dernières années. En novembre 2019, juste avant la pandémie actuelle, une épidémie de brucellose a été remontée jusqu’à deux laboratoires à Lanzhou dans le nord-ouest de la Chine109. Environ 100 étudiants et membres du personnel ont initialement été infectés, et d’après des décomptes récents, 10 528 personnes ont été atteintes.
La pandémie la plus mortelle des dernières années a été la fameuse épidémie de grippe russe de 1977, qui a été détectée pour la première fois chez des enfants en Chine110. Aujourd’hui, le consensus scientifique est que l’épidémie est arrivée par le biais d’une fuite de laboratoire ou d’un essai clinique d’un vaccin insuffisamment atténué111.
La pandémie qui s’ensuivit a tué 700 000 personnes112.
En 1979, une fuite d’anthrax a eu lieu dans un laboratoire à Sverdlovsk, en Russie, qui a tué 66 personnes113. Le premier virus SRAS s’est également échappé de laboratoire à au moins quatre occasions : en 2003 à Singapour, en décembre 2003 à Taïwan et deux fois au printemps de 2004 en Chine114.
Des vérificateurs externes ont soulevé des préoccupations concernant la sécurité sur le site du WIV dès 2018115. Cette année-là, des officiels de l’ambassade américaine ont visité l’institut et réalisé plusieurs interviews de chercheurs, y compris Shi. Après leur visite, les diplomates ont envoyé des câbles à Washington soulignant leurs préoccupations concernant des contrôles de sécurité inadaptés. « Pendant nos interactions avec des scientifiques au laboratoire du WIV », indiquait l’un des câbles, « [les officiels] ont noté que le nouveau laboratoire présentait un manque sérieux de techniciens et de chercheurs convenablement formés nécessaires pour exploiter en toute sécurité ce laboratoire à haut confinement116 ».
Les préoccupations concernant les risques associés aux laboratoires de recherche opérationnels ont été partagées par le gouvernement chinois. En janvier 2019, l’agence d’information d’état de la Chine Xinhua a rapporté que le Ministère de l’Éducation avait ordonné « une réorganisation de la sécurité des laboratoires d’institutions universitaires à l’échelle de la nation » :
Les Universités ont été priées de lancer des contrôles en continu et à tous les niveaux, concernant les risques de laboratoire au cours de l’approvisionnement, du transport, du stockage et de l’utilisation de marchandises et de substances dangereuses et de la mise au rebut des déchets, conformément à une notification promulguée par le ministère117.
Peu après le déclenchement de l’épidémie de COVID-19, en février 2020, il a été indiqué que le nouveau virus SARS-CoV-2 avait infecté du personnel de laboratoire en Chine118, bien que ces rapports aient été ensuite niés. En novembre 2021, une fuite de laboratoire de SARS-CoV-2 confirmée à Taïwan a provoqué l’exposition de 110 personnes au virus par un laborantin infecté au BSL-3119.
Parmi les nombreux changements observés sur le site Internet du WIV depuis l’épidémie de COVID-19 au cours des récentes années, l’un des plus remarquables a été la suppression d’une page qui énumérait les coronavirus de chauve-souris comme des pathogènes de BSL-2120. La désignation BSL signifie la conformité à quatre niveaux de « pratiques microbiologiques standards, de pratiques spéciales, d’équipement de sécurité et d’installations de laboratoire » pour « des activités impliquant des micro-organismes infectieux, des toxines et des animaux de laboratoire », définis par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies121. Dans le cadre de son Q&A dans Science, Shi a confirmé qu’une « recherche de coronavirus dans notre laboratoire est réalisée dans des laboratoires BSL-2 ou BSL-3122 ». Les différences essentielles entre BSL-2 et BSL-3 ont été soulignées dans un article publié par la MIT Technology Review:
Le BSL-2 est pour les pathogènes modérément dangereux … et des interventions relativement douces sont indiquées : fermer la porte, porter des protections oculaires, jeter les déchets dans un autoclave. Le BSL-3 est pour des pathogènes qui peuvent provoquer des maladies graves par transmission respiratoire, comme la grippe et le SRAS, et les protocoles associés comprennent de multiples barrières pour éviter les fuites. Les laboratoires sont barricadés par deux ensembles de portes de verrouillage à fermeture automatique ; l’air est filtré, le personnel utilise des DPI (dispositifs de protection individuelle) complets et des masques N95 et sont sous surveillance médicale123.
En totale opposition avec le WIV, Baric a entrepris des recherches sur la construction de nouveaux coronavirus chimériques dans des conditions BSL-3 améliorées avec des « étapes supplémentaires comme des combinaisons Tyvek, des doubles gants, et des respirateurs alimentés pour tous les travailleurs124 ». Les précautions ne s’arrêtaient pas là. « Tous les travailleurs », a indiqué la MIT Technology Review, « se soumettaient à des contrôles d’infections, et les hôpitaux locaux disposaient de procédures en place pour traiter les scientifiques entrants. C’était probablement l’une des installations BSL-3 les plus sûres au monde125 ». Mais même avec toutes ces précautions, les risques étaient inévitables : « Ce n’était toujours pas assez pour empêcher un ensemble d’erreurs au fil des ans certains scientifiques ont même été mordus par des souris porteuses du virus. Mais aucune infection n’a eu lieu126 ».
En mai 2021, le Wall Street Journal a sorti une histoire selon laquelle, selon un rapport de renseignement américain non-divulgué précédemment, trois chercheurs du WIV avaient été hospitalisés en novembre 2019, « avec des symptômes cohérents avec ceux de la COVID-19 et d’une maladie saisonnière commune127 ». Tandis que les autorités chinoises maintiennent que les premiers cas de SARS-CoV-2 sont connus uniquement pour s’être produits en décembre, il existe au moins un rapport selon lequel le premier cas a été enregistré le 17 novembre 2019128.
Et si…
En mars 2018, EcoHealth et le WIV ont soumis une proposition de subvention à la Agence pour les projets de recherche avancée de défense (DARPA) pour leur programme de Prévention des menaces pathogènes émergentes129. La proposition était intitulée « Projet DEFUSE : Réduction de la menace de coronavirus portés par des chauves-souris ». Elle soulignait un programme de recherche massif de 14 millions de dollars US qui incluait le prélèvement de milliers d’échantillons viraux dans les grottes de chauves-souris au Yunnan afin d’identifier des souches à haut risque dans le but ultime d’immuniser les chauves-souris contre ceux-ci. De manière très étrange, la proposition révélait des intentions de fabriquer génétiquement de nouveaux sites de clivage dans le gène spiculaire de coronavirus de type SRAS :
Après une liaison au récepteur, une variété de protéases de surface cellulaire ou endosomales clivent la glycoprotéine S de SARS-CoV provoquant des changements massifs dans la structure S et activant une entrée médiée par fusion. Nous analyserons toutes les séquences géniques S de SARSr-CoV pour vérifier que les sites de clivage protéolytique étaient convenablement conservés en S2 et pour s’assurer de la présence de sites de clivage de furine potentiels. … En cas d’inadéquations évidentes, nous introduirons des sites de clivage spécifiques à l’homme appropriés et évaluerons le potentiel de croissance dans des cellules Vero et des cultures HAE. … Nous analyserons également les données de séquence approfondies pour vérifier le SARSr-CoV à haut risque faiblement abondant qui code les sites de clivage protéolytiques fonctionnels, et dans ce cas, nous introduirons ces changements dans la souche parentale à faible risque, hautement abondante appropriée130.
Il est évident que les recherches ont été planifiées pour rechercher la présence de sites de clivage de furine à des endroits de clivage conservés évolutifs dans le gène spiculaire, et si, pour quelque raison que ce soit, il existait une inadéquation au niveau de ces endroits conservés, d’introduire un site de clivage spécifique à l’homme dans ces virus. Ils ont également proposé de rechercher « des sites de clivage protéolytiques fonctionnels » dans d’autres SARSr-CoVs à haut risque et ensuite de fabriquer génétiquement ces sites de clivage dans des souches à faible risque, afin d’évaluer leur potentiel de croissance dans des cultures cellulaires épithéliales des voies aériennes humaines (HAE).
Nous voyageons dans tous les anciens cercles familiers. L’insertion de PRRA dans le SARS-CoV-2 a créé un site de clivage de furine à la jonction de clivage S1/S2 conservée évolutive. C’est là que de nombreux autres coronavirus disposent de sites de clivage de furine fonctionnels, y compris un coronavirus de rongeur avec un site de clivage de furine RRAR, collecté par l’équipe de Shi dans une grotte du Yunnan au cours de l’année 2017131.
L'insertion de PRRA pour créer le site de clivage PRRAR|SV aurait pu être inspirée par le fragment PAAR trouvé à la jonction S1/S2 dans un autre virus de type SRAS du Yunnan. La souche RmYN02 a été extraite de chauves-souris R. malayanus en 2019 – la même espèce de chauve-souris qui contenait la souche BANAL-52 découverte au Laos en septembre 2021132. Il est intéressant de citer BANAL-52 comme la première souche de chauve-souris qui s’est avérée avoir un RBD quasi-identique à celui trouvé dans le SARS-CoV-2. Avant la découverte de BANAL-52, seule une souche obtenue d’un pangolin était connue pour abriter ce RBD particulier.
BANAL-52 se distingue également d’une autre façon. Après avoir été évaluée à travers l’intégralité de son génome, BANAL-52 a déplacé RaTG13 comme le parent le plus proche du SARS-CoV-2133.
Dans le cadre de leurs accords de collaboration, EcoHealth a envoyé des échantillons de chauve-souris au WIV aux fins d’analyse134. Le WIV a également regroupé ses propres échantillons pendant des voyages sur le terrain au Laos et sur des sites dans la province du Yunnan près de la frontière chinoise avec le Laos135. La recherche impliquant ces échantillons est traitée dans un article de 2020 par Alice Latinne et al. :
Notre analyse phylogénétique montre une diversité élevée de CoVs de chauves-souris prélevés en Chine, la plupart des espèces de chauves-souris incluses dans cette étude (10/16) ayant été infectées à la fois par des CoVS α- et β. Dans notre analyse phylogénétique qui inclut tous les CoV de chauves-souris connus provenant de Chine, nous avons constaté que le SARS-CoV-2 est probablement tiré d’un clade de virus provenant de chauve-souris fer à cheval (Rhinolophus spp.). L’emplacement géographique de cette origine semble être la province du Yunnan. Toutefois, il est important de noter que : (1) notre étude a collecté et analysé des échantillons uniquement en Chine ; (2) de nombreux sites d’échantillonnage étaient proches des frontières de Myanmar et de RDP Lao ; et (3) la plupart des chauves-souris échantillonnées au Yunnan existent également dans ces pays, y compris les R. affinis et R. malayanus, les espèces qui abritent les CoVs avec l’identité de séquence RdRp la plus élevée au SARS-CoV-2. C’est pourquoi nous ne pouvons pas exclure une origine pour le clade de virus qui sont des progéniteurs de SARS-CoV-2 qui soit hors de Chine, et au sein de Myanmar, de la RDP de Lao, au Vietnam, ou dans un autre pays d’Asie du Sud-Est. En outre, notre analyse montre que le virus RmYN02 de R. malayanus, qui est caractérisé par l’insertion de multiples acides aminés sur le site de jonction des sous-unités S1 et S2 de la protéine spiculaire (S), appartient au même clade que le RaTG13 et le SARS-CoV-2, ce qui soutient encore davantage l’origine naturelle du SARS-CoV-2 dans des chauves-souris Rhinolophus spp. dans la région136.
Les virus laotiens BANAL comprennent des souches désignées par BANAL-116 et BANAL-247. Les deux souches sont identiques au RmYN02 sur leur locus PAA à la jonction S1/S2, mais ils diffèrent dans leurs RBD.
Si le WIV récupérait des échantillons à l’intérieur ou près du Laos avant le début de la pandémie, les chercheurs auraient très bien pu rencontrer un virus de chauve-souris semblable au BANAL-52 en co-circulation avec une souche de type RmYN02 présentant un site de clivage PAAR non-fonctionnel à la jonction S1/S2. La découverte aurait pu les amener à réaliser une expérience en suivant les lignes suggérées dans la proposition DEFUS : une expérience pour transformer le PAAR en PRRAR et créer un site de clivage polybasique RRAR totalement fonctionnel.
Si cela représente une conjecture, cette théorie s’avère parfaitement plausible. Le fragment PAA dans RmYN02 et BANAL-116 et -247 est codé par des codons CCT GCA GCG ; l’insertion de PRRA dans le SARS-CoV-2 est codé par CCT CGG GCA – à savoir, les codons dans le codage d’insertion de SARS2 pour la proline (CCT) et l’alanine (GCA) sont identiques à ceux trouvés dans le RmYN02 et les souches laotiennes.
L’idée à la base de ce travail est évidente et clairement indiquée dans la proposition DARPA : rechercher quel effet le nouveau site de clivage de furine pourrait avoir sur des cellules humaines – par exemple des cellules HAE – ou des souris humanisées afin d’évaluer le risque que l’émergence chez l’homme des nouvelles souches de chauves-souris pourrait impliquer. Ces expériences auraient parfaitement convenu pour la subvention de 2019 du Fonds scientifique pour la jeunesse octroyée à Ben Hu au WIV pour des recherches sur la « Pathogénicité de deux nouveaux coronavirus liés au SRAS de chauve-souris sur des souris transgéniques exprimant un récepteur d’ACE2 humain137 ».
La décision d’utiliser des codons CGG-CGG pour les deux arginines pourrait avoir été prise suite au souhait d’incorporer une balise de suivi FauI dans le site de clivage de furine nouvellement créé, qui permettrait de savoir rapidement si l’insertion est toujours présente ou a muté138. Les virologues utilisent différentes enzymes de restriction conçues pour reconnaître certaines séquences génétiques et couper des chaînes nucléotidiques lors de la reconnaissance ; l’enzyme de restriction FauI reconnaît
5’ CCCGC
3’ GGGCG
et découpe
5’ —CATG— 3’
3’ —GTAC— 5’.
Le procédé utilisant des enzymes de restriction dans le but de rechercher la présence ou l’absence d’une caractéristique génomique particulière est appelée polymorphisme de longueur de fragment de restriction (RFLP)139, et il est utilisé depuis des décennies140. Des exemples de FauI utilisés pour l’analyse de RFLP sont bien documentés dans la littérature scientifique141, et le WIV est connu pour avoir utilisé la technique RFLP par le passé142. Si un chercheur du WIV avait choisi d’insérer un nouveau site de clivage de furine dans un coronavirus, il aurait également pu choisir d’équiper leur insertion d’une balise de suivi qui pourrait confirmer sa présence continue par le biais de la technique RFLP. Le site de clivage de furine a une tendance à muter in vitro ou chez certains animaux de laboratoire143.
L’intérêt naissant du WIV pour le clivage spiculaire au cours de l’année 2019 était peut-être motivé par le travail entrepris par le groupe de Baric à cette époque144. En 2015, Baric et Shi ont publié un article sur l’importance fondamentale du site de clivage de la furine dans le MERS en tant que catalyseur pour sa transmission des chauves-souris aux êtres humains145. L’un des co-auteurs de cet article était Shibo Jiang. Deux ans auparavant, Jiang avait rapporté la création d’un nouveau site de clivage RIRR par le biais d’une insertion de douze nucléotides (CGG ATC AGG CGC), bien qu’il ne s’agisse pas à l’époque d’un coronavirus146. En 2020, il a collaboré avec Shi pour développer un traitement pan-coronavirus, un peptide inhibiteur de fusion147. Le travail sur ce projet semble s’être poursuivi à la fin 2019148. Le clivage de la protéine spiculaire est ce qui active l’entrée provoquée par une fusion.
Ces observations indiquent un modèle révélateur, voire suspect, de recherche réalisée ou prévue au WIV, et une recherche qui aurait bien pu produire le SARS-CoV-2 avec son nouveau site de clivage de furine si peu caractéristique des coronavirus de chauve-souris de type SRAS.
EcoHealth et le WIV ont réalisé une recherche de gain de fonction à la fois sur des virus de type SRAS et sur les virus de type MERS nettement plus mortels. L’épidémie de MERS en 2012 a tué environ 35% des personnes ayant contracté le virus149. Entre 2016 et 2019, EcoHealth et le WIV se sont engagés dans la création de nouveaux virus de type MERS chimériques avec différents RBD récupérés sur d’autres virus de chauve-souris de type MERS150.
Le rapport de progression de la cinquième année d’EcoHealth a divulgué la création de douze nouvelles chimères151. Les nouveaux virus obtenus ont ensuite été testés sur des souris humanisées et ont présenté une pathogénèse fortement accrue.
Le WIV semble avoir été engagé dans une recherche de gain de fonction du MERS pas seulement en collaboration avec EcoHealth mais aussi séparément. Des squelettes génétiques inversés de type MERS non publiés ont été trouvés dans des jeux de données agricoles de Wuhan qui ne semblent pas liés à la subvention d’EcoHealth152.
Conclusion
La pandémie actuelle de SARS-CoV-2 a été, et reste, une catastrophe en matière de santé publique – la plus grave du siècle. Les questions concernant les origines du COVID-19 relèvent actuellement de problèmes juridiques, financiers et légaux. Pour le moment, les chercheurs ne peuvent rien faire de mieux qu’espérer une conclusion vers la meilleure explication ; et pour le moment, la meilleure explication semble être que le virus s’est échappé du WIV.
Le WIV était le plus grand transporteur de virus vers Wuhan de toute l’Asie, y compris de nombreux virus de type SRAS provenant du Laos et du Yunnan. L’analyse phylogénétique montre que l’épidémie de SARS-CoV-2 était parfaitement localisée à Wuhan car toutes les souches qui ont été trouvées à d’autres endroits sont des descendantes de la souche de Wuhan. Si le virus avait circulé sans être détecté dans d’autres parties de la Chine, des virologues auraient forcément noté ces souches pré-Wuhan et leurs descendantes dans l’arbre phylogénétique. Même après avoir séquencé plus de six millions de génomes de SARS-CoV-2, aucune preuve n’a été trouvée de SARS-CoV-2 avant Wuhan.
Non seulement le WIV était le plus grand réservoir de virus de type SRAS à Wuhan, voire dans le monde, mais ses scientifiques étaient engagés dans la création de nouvelles chimères de type SRAS et de type MERS et en surchargeant potentiellement leur transmissibilité et leur pathogénicité. C’est en tenant compte de ces circonstances qu’il convient d’appréhender les faits suivants :
- Shi et Jiang étaient des experts en clivage de protéine spiculaire et travaillaient sur un traitement contre tous les coronavirus afin d’inhiber la fusion post-clivage du virus avec les membranes cellulaires.
- Jiang avait précédemment créé un nouveau site de clivage de furine via une insertion de 12 nucléotides, bien que ce ne soit pas dans un coronavirus.
- Dans une proposition de subvention conjointe, le WIV et EcoHealth ont indiqué à la DARPA qu’ils souhaitaient créer de nouveaux sites de clivage spécifiques à l’homme.
Pris ensemble, ces points rendent l’insertion de 12 nucléotides, qui a créé un nouveau site de clivage de furine dans le SARS-CoV-2 – si peu caractéristique de virus de type SRAS – extrêmement suspecte.
Le comportement du WIV et de ses scientifiques a également soulevé un certain nombre de questions troublantes. La souche virale RaTG13 par exemple. Collectée dans un premier temps par le WIV en 2013, la RaTG13 a été séquencée en 2018, mais elle n’a été divulguée qu’après l’épidémie de SARS-CoV-2. Dans sa divulgation initiale, le WIV a oublié de mentionner comment ou quand il est entré en possession de la RaTG13, il n’a pas indiqué qu’elle s’appelait précédemment Ra4991, il n’a pas cité son propre article de 2016 qui la mentionnait pour la première fois et semblait impliquer qu’ils avaient simplement séquencé l’échantillon après le déclenchement de l’épidémie. Cela ne ressemble pas au comportement de scientifiques faisant de leur mieux pour établir comment un virus laotien ou du Yunnan a pu provoquer une épidémie à Wuhan.
Aucun de ces points n’est en soi concluant, mais la preuve circonstancielle est plus suggestive d’une fuite de laboratoire que d’un acte de la nature.
Il existe une raison supplémentaire d’envisager sérieusement la question. Elle est prophylactique. Savoir au moins que le COVID-19 a vu le jour au WIV permettrait d’avancer vers une interdiction mondiale de la recherche sur le gain de fonction – recherche qui est au moins aussi inutile qu’elle est dangereuse.
Cet essai a été traduit en français à partir de l’original anglais.